samedi 24 janvier 2009

*Karoutchi: en parler aujourd'hui, pour ne plus devoir en parler demain*

***On se frotte les yeux. En 2009, l'homosexualité d'un ministre, révélée au détour de trois pages d'un livre peut encore fait les gros titres. Depuis hier, chacun y va d'ailleurs de son teasing : à lire demain dans tel journal, à regarder après-demain sur telle chaîne… Ouah ! Mais, au-delà de la forme choisie, Roger Karoutchi avait-il le choix ? Demander à un homme politique de ne pas faire étalage de sa vie privée est une chose. Mais lui demander de rester dans son placard en est une autre : c'est même mission quasi impossible quand on se destine à être tête d'affiche.

Oui, bien sûr, l'exhibitionnisme du président de la République est fatiguant. Oui, ras-le-bol des spéculations sur l'identité du père de l'enfant de Rachida Dati, elle-même tantôt érigée en symbole de l'émancipation féminine, tantôt accusée de trahir sa classe pour être revenue aux affaires cinq jours après son accouchement.

Mais la démarche de Roger Karoutchi ne semble pas de cet acabit-là. Le candidat à l'investiture de l'UMP pour les régionales de 2010 en Ile-de-France a choisi de prendre lui-même le contrôle de son coming-out, de révéler, dans les limites que lui-même détermine, ce qu'il peut dévoiler au public, probablement afin de protéger au mieux sa vie privée.

C'était en tout cas le choix de Bertrand Delanoë en 1998 : en évacuant en amont la question de son homosexualité dans une interview sur M6 parfaitement sous contrôle, il a pu mener campagne auprès des Parisiens deux ans plus tard sans que sa vie privée, dont on ne sait finalement rien, ne soit un quelconque enjeu.

Pour Roger Karoutchi, il s'agit donc probablement d'une démarche analogue, motivée par un désir de se protéger, en tuant par exemple les rumeurs. Et non d'une action en service commandé pour Nicolas Sarkozy, dans le but de faire diversion en pleine crise, comme j'ai pu le lire ici ou là ! En banalisant une information de toute façon connue de beaucoup d'initiés, journalistes, cadres du parti et même militants, le ministre-candidat prend la maîtrise de la parole publique sur ce qui aurait pu devenir un bruit de fond assourdissant.

L'homosexualité d'un personnage public est certes une affaire de vie privée, qu'on ne devrait pas avoir à commenter. Mais qu'on ne devrait pas non plus avoir à dissimuler, quand il paraît si évident, au plus grand nombre, de s'afficher avec époux-ses et enfants. Au bureau, les mêmes qui reprocheront à leur collègue de trop se dévoiler en leur faisant part de son homosexualité seront finalement les premiers à raconter leur week-end en famille, le lundi matin autour de la machine à café. L'homosexualité serait forcément une affaire de vie privée quand, pour l'hétérosexualité, les choses seraient plus nuancées.

Pour la suite, oui, il faut souhaiter qu'après Bertrand Delanoë, Roger Karoutchi soit le dernier homme politique à révéler son homosexualité. Et que, pour les suivants, ce soit réellement un non-sujet. Mais nous ne sommes qu'en 2009…

*Alain Piriou

Blog de Liberation
24/01/2009

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