lundi 2 mars 2009

*Roger Karoutchi : l'échappée belle*

***Portrait :

Nicolas Sarkozy l'appelle "Droopy". C'est tentant ! Il a parfois les paupières lourdes à force de passer ses nuits sur le banc des ministres au Parlement. Il bougonne, même quand tout va bien. Comme le chien de Tex Avery, Roger Karoutchi est un éternel marri. Mille fois, ses amis l'ont entendu maugréer en substance : moi, le fidèle et loyal soldat, je mérite de briguer le fauteuil bleu de président du conseil régional d'Ile-de-France. "C'est mon truc ! Ma mission !", ressasse-t-il.

En 2004, Nicolas Sarkozy lui a demandé de laisser sa place. A l'Elysée, Jacques Chirac exigeait que Jean-François Copé conduise les régionales. Chef des troupes UMP à la région, Roger Karoutchi s'est sacrifié. La droite a perdu. Depuis, il est en campagne. De la foire aux haricots d'Arpajon (Essonne) aux cités HLM de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), il a parcouru toute la région. "C'est mon tour !", dit-il en attendant le vote des 60 000 militants UMP franciliens qui, à la mi-mars, choisiront entre lui et Valérie Pécresse, la ministre de l'enseignement supérieur.

En janvier, son "ami de trente-trois ans", Nicolas Sarkozy doutait de ses chances de remporter la primaire. "C'est Pécresse la meilleure !", disait-il, le nez sur les sondages donnant la ministre élue devant Jean-Paul Huchon, le patron PS de la région. "Si on veut que je renonce, une nouvelle fois, faut le dire !", avait lancé le grognard Karoutchi. Nicolas Sarkozy l'a rassuré : "Je veux un vote des militants ! Trace ta route et gagne !"

Ses amis politiques ne le considèrent pas comme un guerrier. Il le sait. "Karoutchi un homme d'engagement, oui ! Un combattant, non !", lâche un ministre. "Mon personnage public n'a aucune densité dans l'esprit des gens. J'ai l'image d'un pur politique", reconnaît Roger Karoutchi. A force de ne vouloir "être ni jugé ni jaugé sur sa vie privée", il a toujours renvoyé une image lisse. A 57 ans, il s'est décidé à parler de lui et a révélé son homosexualité dans un livre, Mes quatre vérités (Flammarion, 300 p., 20 euros).

"Le fait d'assumer l'a libéré", assure sa confidente, Isabelle Balkany. "Avec ça, maintenant, je suis dans le casting", s'esclaffe-t-il. Une allusion directe à Valérie Pécresse qui souligne volontiers qu'elle est "une mère de famille avec trois jeunes enfants".

A cause de ce non-dit mais aussi de son histoire personnelle, qui explique sa quête d'intégration, Roger Karoutchi a toujours tenté de combler un sentiment de "mise à l'écart". Ses parents ont quitté le Maroc en 1956. Son père était dentiste à Casablanca. "Tant que vous verrez le drapeau français, vous serez chez vous !", avait lancé le père de Roger Karoutchi, à ses enfants sur le bateau qui les emmenait en France.

A Marseille, avec sa famille juive pratiquante, il a recherché une appartenance et une reconnaissance par le travail. Roger est devenu un premier de la classe qui collectionne les prix d'excellence. A 21 ans, il est le plus jeune agrégé d'histoire de sa génération, un pur produit de la méritocratie républicaine. Il restera seize ans dans l'enseignement, en collège (à Goussainville, Val-d'Oise), puis au lycée Balzac (à Paris-18e).

"Transporté" par la lecture des Mémoires de guerre du général de Gaulle, à 12 ans, il affronte les étudiants qui crient "de Gaulle démission !" sur la Canebière en 1968. Il prendra ensuite la tête de plusieurs syndicats étudiants de droite.

C'est dans ce contexte qu'il rencontre, en 1975, Nicolas Sarkozy, qui vient lui raconter ses échauffourées "avec les gauchos à la fac de Nanterre". Ils sympathisent et finiront par structurer ensemble l'organisation des jeunes au sein du RPR. Ce "Robocop du boulot", selon M. Sarkozy s'est ainsi constitué des relais dans l'appareil et des liens avec les élus qu'il a encore consolidés en devenant secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement.

Mais il a d'autres réseaux. Dans la communauté éducative, Richard Descoings, le patron de Sciences Po, à Paris compte parmi ses proches, tout comme Bruno Julliard, ex-leader de l'UNEF et secrétaire national du PS chargé de l'éducation. Pendant un temps, Roger Karoutchi s'est rêvé ministre de l'éducation nationale. En 2006, il publie, à dessein, une biographie de Jean Zay, ministre en charge de ce maroquin sous le Front populaire.

Bruno Julliard n'est pas le seul à gauche à fréquenter les brunchs dominicaux qu'il organise. S'y croisent Jean-Paul Huchon, Jean-Vincent Placé, le chef de file des Verts à la région, au milieu de journalistes, d'acteurs et de ministres. "Karoutchi peut être désopilant, rapporte un convive, même si c'est dans le registre du comique troupier parfois." S'il tient salon à son ministère, c'est qu'il n'a guère d'autre repaire. Il lui manque un fief, une terre d'élection. Son parcours d'élu local n'a pas été flamboyant. "Il n'a jamais été élu sur son nom au scrutin uninominal", persifle Pierre Bédier, président (UMP) du conseil général des Yvelines, soutien de Valérie Pécresse.

Roger Karoutchi n'a jamais manifesté l'envie frénétique de faire une carrière en solo. "Je suis beaucoup plus fait pour les équipes que pour un destin individuel", reconnaît-il. Faute de monter au front pour lui même, il l'a fait pour d'autres. Permanent du parti, il a été de toutes les grandes campagnes. Après celles de Chirac, il est enrôlé en 1986 par Philippe Séguin, qui le fait venir à son cabinet de ministre des affaires sociales. Il reste son fidèle second jusqu'au fiasco des municipales de 2001 dont il s'est remis en ralliant Nicolas Sarkozy.

Depuis 1992, plutôt que de gérer une mairie ou de labourer un canton, il a "branché ses neurones rue Barbey-de-Jouy (siège du conseil régional), résume Eric Raoult, député UMP de Seine-Saint-Denis. "Si j'ai un problème au Raincy, dans ma mairie, je sais qu'il m'aidera à la région. Tous les maires d'Ile-de-France le savent."

"Je suis le seul à connaître les errances et les erreurs de la gauche régionale", prétend Roger Karoutchi, qui ferraille contre elle depuis 1992. "Karoutchi serait un adversaire plus coriace que Pécresse, Il ira chercher Huchon sur le fond des dossiers", juge Jean-Vincent Placé.

Depuis la fronde des enseignants-chercheurs, "Valérie a perdu toutes ses facultés", grince Roger Karoutchi, à quelques jours du débat face à elle, organisé dans le cadre de la primaire le 7 mars sur France 3. "Je suis zen", dit-il. Et pourtant, il râle : "Si je gagne la primaire, après ça sera dur !"

Le patron de l'UMP, Xavier Bertrand, lui a dit : "En 2010, la région sera très difficile à reprendre." Alors, "pourquoi tu t'emmerdes ?", lui a demandé Eric Besson, complice et originaire comme lui d'Afrique du Nord. Droopy prend son air bougon et répond, comme à chaque fois : "Laisse ! C'est pas ton combat !" C'est le sien.

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Parcours

1951
Naissance à Casablanca (Maroc).

1973
Agrégé d'histoire.

1986
Chargé de mission au cabinet de Philippe Séguin, ministre des affaires sociales.

1992
Conseiller régional d'Ile-de-France.

1998
Président du groupe RPR à la région (puis UMP à partir de 2002).

1999
Sénateur UMP des Hauts-de-Seine.

2007
Secrétaire d'Etat en charge des relations avec le Parlement.

2009
Publie "Mes quatre vérités" (Flammarion).
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Béatrice Jérôme
Le Monde
03.03.09.

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